La ferme était une prison, tout le monde était d’accord là-dessus. Sneguroshka, éternelle enfant menacée de fondre à la moindre chaleur, était passée à deux doigts d’y être cloitrée. Nul doute qu’elle aurait tôt fait de s’enfuir, profitant de son apparence de jolie fillette pour rester discrète, si on lui avait obligée à rester. La ferme, outre un endroit clos pour tous fables ne possédant pas d’apparence humaine acceptable, était une terre où les extravagances magiques étaient permises. Mais pas que ! La jeune fille, armée de son vélo et d’un sac à dos coloré, venait de traverser les champs et d’arriver au village principal. Elle abandonna son moyen de transport sur le bord d’un petit chemin et fila tout droit vers la forêt dense.

Elle portait sur sa tête un grand chapeau, pour se protéger des rayons ardents du soleil. Ceux-ci menaçaient à tous les coups de la faire fondre, Sneguroshka craignait même de ne pouvoir atteindre la forêt à temps ! Ce serait fort ennuyeux d’avoir à attendre la fraicheur de la nuit pour se remettre sur pied. Les arbres de l’épaisse forêt, eux, avaient la particularité de lui faire de l’ombre.

Sneguroshka se trouva un coin sympa et y déposa son sac de petite fille. S’asseyant en tailleur, elle ouvrit celui-ci et en sortit… Une belle bouteille d’hydromel ! Et ça c’était sans compter celle de whisky qu’elle préféra garder cachée. Pas très forte, elle mit un moment à ouvrir le bouchon. Elle pesta contre sa nature de fillette enneigée, beaucoup trop délicate pour l’aube du vingt-et-unième siècle. Avant de boire, elle prit son walkman, y inséra sa cassette de Metallica –on avait du gout ou on en avait pas- et posa son casque d’écouteurs sur ses oreilles.

Voila, elle était fin prête à se détendre !

Oui, elle s’était promise d’économiser pour un Glamour, mais une bouteille d’alcool n’avait jamais fait de mal à personne… ou presque.

Un, deux, trois et Sneguroshka s’enfila une gorgée d’hydromel. Adossée à un arbre, elle s’y laissa glisser, prenant une position peu convenable pour une jeune fille, mais tellement confortable. Elle ferma les yeux, se laissant emporter par la musique et l’alcool. Que c’était la bien, la vie de débauche, quand même !

Une liasse de billet toute prête à être enfournée dans le petit sac qu'elle avait emporté, et l'esprit triant les informations données par Reynart, Kumiho arborait un sourire plutôt satisfait. Ses apparitions à la ferme étaient rares mais non sans but.
Il fallait savoir garder des liens... et malgré leurs quelques désaccords et orientations différentes, les deux canidés arrivaient à s'entendre, réseau tacite d'informations.
La Ferme. Un lieu redouté des émotions parfois trop conflictuelles et vives de la kitsune, mais comme toujours, la femme aimait le danger.
Le frôler, l'effleurer sans jamais se laisser briser par ses pièges.

Le jour où on l'enfermerait ici n'était pas encore venu ( croquer une poule discrétos était bienvenu également !) , et elle pouvait encore bénéficier des deux pans de la barrière, laissant aujourd'hui sa nature animale prendre le dessus complètement.

Après avoir déposé ses affaires dans un recoin caché, l'asiatique avait repris sa forme originelle, griffant rapidement la terre pour s'éloigner vers la forêt. La Kitsune n'était pas aussi grande que les géants, mais elle était nettement au dessus des gabarits de ses cousins à poils roux, atteignant facilement la taille d'un Bigby en colère.

Son pelage crème brillait presque au soleil alors que ses queues formaient des petites apparitions de neige au milieu des arbres, par moment. La hauteur de la végétation la dissimulait, même si la puissance qui émanait de ses membres trop longtemps confinés dans une forme réduite, humaine déracina quelques arbustes.
Kumiho avait beau clamé haut et fort que la vie citadine la contentait parfaitement, cette liberté de mouvement retrouvée lui faisait un bien fou !

La Renarde trottinait toujours plus loin dans la forêt quand son ouïe, encore plus fine qu'à l'habitude capta un son familier. De la musique... accompagnée d'une odeur alléchante, addictive.
Les oreilles penchées vers le bruit diffus, Kumiho stoppa sa course, la curiosité n'étant jamais un défaut chez elle.
Toujours sous forme animale, surplombant la petite silhouette blanche, l'asiatique eut un sourire amusé.
Elle ne la connaissait pas. Savait juste qu'elle semblait maligne, et Fables pour l'avoir aperçu à de nombreuses soirées du Souvenir, pompette.
Petiote, fine, fragile et pourtant écoutant un son à tout faire éclater !
Et une bouteille à la main qui intéressait un peu plus...

" - Encore à te planquer pour te saouler dans un coin ? ... Mais faut avouer que tu as du goût ! "

Pour la musique, plus que pour la marque de l'alcool...
L'enfant intriguait la Renarde.
Raaah... Peter devait surement déteindre sur elle !

La terre aux pieds de l’enfant était devenue grisâtre. Celle-ci, en une fraction de seconde, devint blanche et se recouvrit d’une fine couche de neige. Froide, Sneguroshka était froide. Loin de posséder les merveilleux dons de sa matushka, elle savait néanmoins congeler ce qui était à sa portée. Et, refroidir son environnement pendant que l’alcool menaçait de la faire fondre, lui semblait une excellente idée.

Achevant sa grande gorgée d’hydromel, elle baissa sa bouteille et ouvrit les yeux à ce moment. La fillette de neige eut un léger sursaut en remarquant l’imposante forme animale qui se tenait devant elle. Elle prit un air incrédule, voyant le renard qui lui parlait mais ne comprenant pas un traitre mot de ce qui était dit.

« Quoi ?! »

Elle mit sur pause sa musique et descendit dans son cou son casque. Par prudence, elle mit le bouchon sur son alcool, sécurisant la bouteille qu’elle rangea dans son sac à dos. Sneguroshka se releva sur ses pieds, tirant ses affaires qu’elle glissa sur son épaule. Hors de question de rester écrasée par terre alors qu’un énooorme animal lui faisait face. Ses jambes ne semblaient pas très solides mais, vue la quantité d’alcool qu’elle venait de s’enfiler pour son si petit corps, ce n’était que normalité. Distraite, elle suivait du regard les milliers de queues que possédaient le renard. Oh. Oooohhh.

« Qu’est-ce que tu fais là, Kitsune ? Toi aussi tu veux me sermonner parce que je suis petite et que je cale du fort ? »

Son petit visage rond se crispa de contrariété. Peu importe où elle allait, peu importe qui elle croisait, on lui retirait toujours son alcool sur durement gagné. Même les Fables qui n’hésiteraient pas à poignarder leur prochain semblaient avoir un regain de conscience en voyant une fillette boire. Habituellement très détendue, Sneguroshka montait vite sur ses gardes lorsque l’alcool s’infiltrait dans ses flocons de neige.

« …À moins que tu en veuilles aussi ? »

L’enfant leva un sourcil et, ni d’une ni de deux, la bouteille d’alcool était revenue dans sa main, ouverte et près de ses lèvres. Jaugeant le grand renard, elle prit d’autres gorgée.

Pour l'avoir croisée plusieurs fois, surtout lors de Soirées du Souvenir, Kumiho savait que la fillette avait un sacré caractère et le regard qu'elle lui lançait ne fit que sourire un peu plus la Renarde qui s'abaissa un peu plus, réduisant la hauteur qui les séparait.
Ses griffes crissaient sous la neige émise par l'enfant de glace mais il en fallait plus pour perturber ses coussinets.

"- Sneeeguroshka, c'est ça ? " L'accent de la maquerelle ressortait dans sa difficulté à prononcer le nom de la Fable, et elle avait l'impression d'essayer de former des sons, la bouche pleine, mais continua sur sa lancée. Elle  avait pourtant côtoyer quelques Fables et mundanes russes mais ne s'était jamais faite à leur langue. Un léger rire s'échappa de sa gueule.
"- Non, non, pas du tout... Tu es bien assez grande pour savoir ce que tu fais. J'avais un rendez-vous... "

Les enfants n'étaient pas... ou plutôt n'étaient plus l'aspect le plus important de l'existence actuelle de la kitsune mais le contact assez régulier de Peter, et une certaine expérience lui avait appris qu'il ne servait à rien de braquer un gamin dès les premiers mots.
La Renarde ponctua sa phrase d'un haussement d'épaules, bien sincère. Evidemment, boire un litre entier pour un corps de gamine, c'était loin d'être bien malin, mais Kumiho n'était pas sa mère, et ne comptait pas prendre ce rôle.
Sneguroshka était comme les steppes de son Royaume. Libre.
Vive et changeante. Son revirement fit pencher la tête de la Renarde, intéressée.
Ses queues formant une sorte d'halo autour d'elle, la maquerelle s'assit dans la neige.

" - Ah pourquoi pas ! " Son sourire dévoilait ses crocs dans un sourire mutin.
Et en quelques secondes, elle abandonna sa forme naturelle pour revêtir une apparence mi-animale, n'en restait que ses griffes, ses queues dont la fourrure recouvrait une partie de son corps ainsi que ses oreilles pointées en direction des mains de la fillette. Si elle aimait se dégourdir les pattes, la boisson et la bouteille réclamaient une adresse humaine.

"- Pourquoi venir jusqu'ici te planquer ? Je comprends, c'est calme mais... "
En fait non,  la kitsune ne comprenait pas vraiment.
De son point de vue, les quartiers de New York recelaient bien assez de recoins pour un tel petit plaisir. La gamine ressentait-elle le besoin constant d'être parmi ses semblables ? ou échappait-elle de manière sure à ce satané loup de shérif?

Sneguroshka agita la tête en signe d’acquiescement. Lorsque la Renarde affirma n’avoir aucun problème avec l’alcoolisme infantile, Sneguroshka baissa sa garde et parut tout de suite plus fréquentable. Elle avait déjà suffisamment de mal à se procurer de l’alcool, s’il fallait qu’on vienne le lui retirer quand elle était à la Ferme, ça allait sérieusement barder ! Et ce, même si la nature de la fillette de neige était non-violente.

À quoi ça servait, d’être violent, de toutes manières ?

Écrasée par terre, Sneguroshka rouvrit son sac et fit rouler une bouteille de fort vers la bordelière. La jeune enfant enneigée connaissait le partage. Elle ignorait, du coup, la possessivité. La liberté, elle la chérissait. Et c’était pour cette raison que, malgré ses bêtises, elle demeurait sage. Sage pour ne pas qu’on l’oblige à rester à la Ferme. Et Dieu savait que la Ferme ne voudrait pas d’une Sneguroshka. D’une enfant maligne qui s’enfuirait dès qu’elle en aurait l’occasion. Elle avait été enfermée une fois, dans une forêt d’hiver infinie, et cette fois-là était la dernière. La petite fille s’était enfuie dès que l’Adversaire avait commencé à envahir les Royaumes et elle était loin de l’avoir regretté.

Sauf le jour où la vodka a cessé de se vendre par galon.

Bien installée dans son petit halo de neige, la jeune fille rouvrit sa bouteille d’hydromel et en tira quelques gorgée.

« Parce que n’importe où ailleurs, on ne me laisserait pas faire. »

Les mundanes s’offusqueraient devant la vision de la petite en train de boire, tant dis que les Fables (sans doute Bigby Wolf) tenteraient de l’en empêcher, lui retirant alcool et argent. Sneguroshka préférait ne pas prendre de chance et venir caler ses bouteilles dans le fin fond de la forêt de la Ferme.

« Peux-tu croire que cela choque même les Fables ? Ils ont pris les mauvais plis des mundies. »

Oui, Sneguroshka se sentait supérieure aux mundanes. Pas sur les talents, pas sur la réussite ni sur l’intelligence, mais sur la spiritualité. Spiritualité qu’ils tardaient à mettre de côté, grands superficiels qu’ils étaient ! Les Fables étaient devenue envieux, possessifs, jaloux, violents. Rien de très réjouissant, en somme.

Lorsque la bouteille roula en direction de Kumiho, les prunelles de celle-ci s'allumèrent d'une lueur enjouée. La kitsune émit un sourire de remerciement.

Non pas qu'elle ne boive jamais - ça aurait le comble vu son métier, mais les derniers jours avaient été bien chargés et la pause impromptue que lui proposait Sneguroshka sans le savoir était plus que bienvenue.
Rapidement, le bouchon sauta et la chaleur monta dans la gorge de la demi-renarde. Pas trop mauvaise, la bibine de la gamine.
Une fillette blanche.
Oui.
Mais vieille de plusieurs siècles.
Et la maquerelle pouvait comprendre que cela en perturbe plus d'un vu le comportement que Sneguroshka adoptait parfois, jouant de cette ambigüité permanente entre enfant et âge mental.
Kumiho pencha la tête sur le côté avec un sourire contrit à la remarque indignée de la jeune fille.

"- Les autres gosses n'ont pas ta résistance ni ton âge, Sneguroshka.... surtout les mundanes." Presque un compliment, mais tout en n'étant pas un. " - Ca, c'est une autre histoire.... les Fables pensent qu'ils peuvent se fondre complètement dans la masse. Ils sont idiots. Ils pensent qu'en adoptant leurs manières, ils seront comme les mundanes.
Il y a un fossé entre eux et nous... Et toute la magie de ce foutue treizième étage n'y changera rien ! "

Un restant de hargne restait coincé dans la gorge et le ton de Kumiho, même si au fond d'elle, la question de l'adaptation restait toujours en suspens. Les Fables arrivaient-ils à se faire à ce monde, quatre cent ans après ? Au prix de quoi ?
Et pourtant malgré ce qu'elle disait, la brune ne faisait-elle pas la même démarche, en s'appuyant sur leur similitude ?

Se calant un peu plus confortablement contre ses queues, sans pour autant se rapprocher trop de l'espace de neige créée par la gamine, la kitsune reprit une longue gorgée avant d'adresser un sourire malin à Sneguroshka.

"- Tu dis ça, mais t'attends toujours de te payer un Glamour hein ? Avoues, y'a certaines choses que t'aimerais bien chez eux ! "

D'humeur taquine mais pas agressive, la renarde souriait légèrement, entre deux goulées, surveillant du coin de l'œil les yeux dans la vague de sa comparse. La bouteille fut très vite réduite à sa moitié sans problème.

Kumiho avait raison, évidemment ! Et ce n’était pas Sneguroshka qui allait lui donner tort. L’enfant se tortilla un peu, s’enfonça davantage dans son petit tapis de neige. On était bien ici, à basse température et avec de l’alcool ! Elle fronça les sourcils, appuyée contre le contenant d’alcool qui semblait disproportionné comparé à sa taille figée à l’ère prépubère.

« Idiots, oui ! Ils pensent que je veux aller boire dans la rue, devant tous les mundanes… Comme si j’étais assez stupide ! Je ne le ferais pas, s’ils me laissaient faire mais… »

…Ils lui enlevaient toujours sa bouteille, toujours. Et peu de Fables acceptaient d’aller lui en acheter. Ce n’était pas comme si les vendeurs des Beer Store savaient que leur client allait l’offrir à une petite fille de quatre cents ans !

Un sourire tout aussi malin que celui de la renarde fendit son visage.

« Évidemment ! Pour commencer, une poitrine. J’aimerais bien avoir un beau décolleté, un de ces jours… »

Pensive, elle pinça les lèvres et avala une autre longue gorgée d’hydromel. Pour l’instant, elle ne semblait pas trop affectée. Sneguroshka avait l’habitude, après tout. Enfin, avant Fabletown, surtout !

Quand la fillette de neige leva les yeux au ciel, de lourdes goutes vinrent s’abattre sur son visage. Elle eut une moue crispée et se cala rapidement près de l’arbre devant lequel elle était assise, tirant tout son attirail de la parfaite petite alcoolique. La plus ne la dérangeait pas tant, elle apaisait la température et faisait un doux son à ses oreilles.

« N’en profite pas pour t’enfuir avec mon alcool, toi ! »

Kumiho ne pouvait que compatir à la situation de la gamine. Coincée dans ce corps de jeune adolescente et bloquée à jamais par les us et coutume des sociétés mundanes.
Bon, pour certains... dont un petit garçon aux mœurs bien trop adultes, elle n'éprouvait aucune empathie, mais la jeune fille avait l'art et la manière de faire ressortir sa situation presque dramatique sous des plaintes d'ivrognes. Injustice de la part de la kitsune ? surement.

Sneguroshka serait toujours considérée comme une enfant, même au crépuscule de sa vie, et la renarde considérait cela d'un air plutôt triste. Même si cela devait avoir ses avantages suivant les situations, et elle pensait bien que la jeune fille ne se privait pas pour en profiter.
Si elle-même était le jouet de sa nature animale, et de ses émotions, son apparence lui permettait de se jouer des gens plus facilement.

"- C'était différent dans les Royaumes ? "

Penchant la tête d'un air mutin, la kitsune écouta le souhait de la fille des neiges et après une énième rasade - c'est qu'elle allait la siffler rapidement cette bouteille ! - l'asiatique la fixa d'une œillade conspiratrice.

"- Tu sais qu'il existe de quoi te donner l'illusion d'avoir plus de poitrine ? "

Sortilège, enchantement, ou même tout simplement de quoi pallier à une petite poitrine avec des moyens purement techniques. En bonne maîtresse d'illusions, Kumiho avait testé pas mal de choses pour changer son apparence, cachant parfois le fait qu'elle pouvait le faire d'un simple regard.
Mais avant qu'elle puisse lui donner plus de détails, de grosses gouttes vinrent salir le manteau de neige formé autour de la gamine et s'écraser sur la fourrure de la renarde. Baissant les oreilles, elle fit la grimace et se déplaça un peu plus loin aussi, ses attributs naturels la protégeant un peu plus.

"- Tu ferais bien de te préoccuper de ta température plutôt que des bouteilles d'alcool. Les arbres ne pourront pas te protéger éternellement. Donner, c'est donner. Reprendre c'est voler. "

Le sourire de la renarde se fit plus grand, une canine apparente.
Et déjà, l'eau ruisselait des feuilles.
Par pure habitude, ou réflexe animal, les queues de Kumiho finirent par s'ébrouer, s'agiter, chargées d'eau, faisant fondre ce qui restait des traces de neige autour d'elle.
Et la pluie qui n'en finissait pas, commençant à marteler le sol d'une cadence plus soutenue encore.
Sneguroshka semblait sure d'elle, têtue, et même si la maquerelle se fichait de la pluie et ne voulait pas passer pour une petite nature, elle finit par prendre la gamine par le poignet.

"- Sneguroshka... c'est dangereux. Si ça continue, je vais devoir te mettre dans un congélateur pour te faire reprendre forme humaine !"
Elle riait presque en disant cela, mais une pointe d'inquiétude perçait au fond de sa voix.

Oui, Kumiho pouvait la laisser se débrouiller et rentrer se mettre au sec chez elle... Après tout, la gamine était assez grande pour s'occuper d'elle-même non ?
Mais... mais une part d'elle ne pouvait pas la laisser là, en se demandant éternellement si la fille de neige avait survécu ou non. La Renarde avait beau évoluer dans un milieu pourri jusqu'à la moelle, il restait une étincelle de l'âme guerrière chez elle.
Une once de chiantise.

Vivement, agitée par l’alcool, Sneguroshka hocha affirmativement la tête, mais se résigna rapidement, prenant un air malin, pas très content.

« Dans les royaumes, avant l’attaque de l’Adversaire, c’était pire ! Mon père m’a laissée seule dans une forêt d’hiver… c’était si ennuyeux ! »

Père qui répondait au doux nom de Father Frost, et forêt qui forgea le caractère de la jeune fille, pourquoi elle avait si peu de moral. Lorsque les premières attaques eurent lieues, elle put s’enfuir et rejoindre un village. D’abord timide et discrète, elle n’osait pas parler, puis vint l’envie de faire des bêtises, d’expérimenter les nouvelles choses qui s’offraient à elle. Sa préférée de toute ? L’alcool.

Puis elle eut une mine un peu blasée. Elle connaissait tous les trucs pour avoir un semblant de poitrine, mais elle gardait néanmoins son visage poupon. Cette petite face ronde et ses grands yeux bleus où brillait l’innocence. Il n’y avait que ses lèvres pulpeuses qui faisaient femmes. Elle ne s’en plaignait pas, malgré les apparences. Elle avait appris à vivre avec son apparence d’enfants et chaque action qui enfreignait la loi du à son jeune âge n’était qu’une aventure de plus.

Kumiho eut droit à un regard vilain. Sneguroshka préférait tout de même les bouteilles à la température et continua de tenir son sac enfantin contre elle. Mais tant qu’elle gardait ses bouteilles d’alcool, elle se moquait d’où la renarde pouvait la trainer. Ce n’était pas comme si elle pouvait être une potentielle marchandise pour son bordel, si ?

« …Mais c’est bon, je suis pas si faible ! »

Plus son poignet était serré, plus les doigts de Kumiho s’y enfonçait, comme il s’enfoncerait dans de la neige tassée.

A la mention de l'Adversaire, la renarde fronça les sourcils, toujours amère sur ce qu'elle avait fini par céder, à bout de forces face à ses armées. Parler de lui rendait l'alcool un peu trop acide à son goût, mais elle n'en dit rien.
Contrairement à Sneguroshka, Kumiho ne regrettait pas du tout les années aux Royaumes, même si sa vie n'avait pas été facile. Ce que la kitsune y avait trouvé valait bien d'en baver un peu... Mais à quoi bon ressasser le passée ?

"- T'avais fait une grosse bêtise ? "
Sous le sourire coquin de la jeune femme se cachait une curiosité bien réelle. Qui était le père de la gamine ? Pourquoi enfermer une enfant dans un hiver éternel ?
Cela ne faisait que rajouter aux mystères qui entouraient la gosse, toute chieuse soit-elle.
Mais cela attendrait qu'elles se mettent à l'abri... sans compter la coopération plus ou moins consenti de la fille des neiges... Foutu caractère !

Kumiho fronça les sourcils, et ses prunelles jaunes fusillaient Sneguroshka.
D'une secousse forte, elle tira la gamine à peu à l'écart et lâcha son bras d'un coup, de la neige mouillée encore sur les griffes. Les oreilles en arrière, elle l'apostropha.

"- Ah ouais ? T'es pas en train de te désintégrer comme de la boue peut-être ? !Tsss"

Quelle tête de pioche !
Le renarde excédée, les queues apparentes s'agitant furieusement, se pencha sur la gamine neigeuse, les poings sur les hanches.

"- Je me fiche que tu fondes, idiote, mais viens pas te plaindre après... "

Après tout, était-ce réellement ses affaires ? Elle avait eu sa bouteille, et si Sneguroshka était incapable de mettre sa fierté de pisseuse de côté et bien tant pis. Kumiho se retourna et s'apprêtait à la planter là.
Une grimace barrait son visage, et après une hésitation de quelques secondes, la demi-renarde bondit sur la gamine et lui vola son précieux colis, recula de plusieurs bonds. Sneguroshka serait dans une rage folle, mais s'il n'y avait que ça pour la déloger de son fichu arbre et la garder consistance....

Kumiho n'était plus à un ennemi près!

L’enfant de neige haussa les épaules.  Qu’est-ce qu’elle en savait, elle, du pourquoi elle s’était retrouvée dans une forêt ?  Tout ce dont elle était certaine, c’était que jamais la reine des neiges ne ferait une telle chose.  Elle était si belle, si élégante et aaahhh…  Sneguroshka l’idéalisait autant qu’elle l’appréciait.  

Mais pas le temps de rêver à la belle reine des neiges, Kumiho la tirait, lui arrachant presque le bras.  Tous des supers agressifs, hein, ces adultes !  Une chance qu’elle n’était qu’un amas de flocons et de glace, sinon elle aurait bien pu perdre l’un de ses membres, à être secouée ainsi !  -Ou tout simplement parce que l’alcool, en ce moment, lui donnait l’impression d’être une chose toute délicate que l’on secouait à tord et à travers.  

Et la renarde commit un acte des plus cruels, un acte que même l’Adversaire n’avait pas eut les couilles de faire : Kumiho venait de lui voler son sac d’alcool.  Sneguroshka bondit, toute énervée –et pas loin d’être toute bourrée- et s’indigna violemment.

« Comment tu peux me faire ça ?!  T’es vraiment qu’une chienne ! »

L’enfant de neige, ne ménageant pas ses mots malgré son apparence qui suintait l’innocence, accourut vers la Kitsune, pleine de rage et avec la ferme intention de reprendre son bien.  Au Diable la pluie, au Diable la tempête.  L’important était la belle bouteille d’Hydromel qu’on lui avait prise, mais pas que !  Il y avait aussi le Jack Daniels, et le cognac, et ah !  Le fruit de ses efforts !  Tout !  

« Rends-le-moi !  C’est à moi !  J’ai travaillé super dur pour l’avoir ! »

Elle sauta sur l’une des queues de la renarde et l’agrippa fermement, gelant ses petits poils mystiques pour avoir une meilleure poigne.  Dire que sans l’ivresse, elle aurait laaargement mieux réagi.  Envoyé une insulte, peut-être, mais sans devenir cette petite guerrière qu’elle était en ce moment.  Mais là, c'était une situation trop injuste, parce que Kumiho pouvait avoir tout ce qu'elle voulait sans ne rien faire, elle... et elle venait quand même lui voler des choses !

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