Des claquements de talons résonnaient depuis le fond du couloir des Woodlands, à cette heure, très peu de Fables circulaient dans la bâtisse, même le Hall à ce stade était un endroit désert. Les pas se rapprochèrent, émettant un son un peu plus cru et fort chaque fois qu'un mètre avait été franchi. Bientôt. une lumière perça sur la surface sombre du sol du Business Office. Seule une faible lumière éclairait le bureau de Boy Blue qui n'avait pas lâché sa trompette de la soirée.
- Alors ? Tu as décroché un audition dans l'un des bars de New York ?- Non.
- Oh, parce qu'en principe, lorsque tu te met à jouer du Blues toute la journée, c'est parce qu'on ne t'as pas encore blackboulé... Le secrétaire avait la bouche scellée à son embout de trompette, jouant le refrain de sa chanson. Sa patronne lui avait jeté un regard faussement moqueur lorsqu'elle continua, les bras chargés de paperasses.
- Tu es prêts pour le couplet habituel ? "Trop jeune trop plouc et trop blanc pour jouer ici, gamin !" Un esquisse de sourire avait dessiné le coin des lèvres du blond, détachant son instrument de sa bouche pour lever le menton vers son interlocutrice.
- Vous oubliez la partie du "t'es qu'un môme et t'as pas assez vécu ni souffert pour jouer du Blues." ... Mais non, Madame White, je n'ai pas eu d'audition. Sur cette phrase, Blue parut abattu, plus qu'il ne l'était déjà auparavant. Il déposa sa trompette sur le bureau et se pencha en avant, jetant un regard en coin vers la dame en face.
- Pourquoi es-tu si mélancolique, dans ce cas ? Un lourd silence flotta un moment dans la pièce, avant qu'il ne se décide à répondre, l'air sombre.
- Ce sont les Ides de mai, madame White. Un petit "Oh" plaintif avait vagabondé jusqu'aux oreilles de Blue, suivit d'un petit "J'avais oublié" honteux de la part de sa supérieure. Elle n'était pas que jolie, elle savait faire preuve d'une réelle douceur, lorsqu'elle y mettait du sien.
- J'aurais dû vous le dire. ... Pour le boulot, je ferai tout demain, je travaillerai plus fort, promis ! Snow White avait étiré un petit sourire, nullement agacée de son retard au travail, bien qu'elle essayait de le faire paraître ainsi.
- Bien sûr, comme les années précédentes où tu es resté chez toi pour cause de gueule de bois. - Ce n'est pas de ma faute Miss White, chaque fois j'essaie de ne pas toucher à l'alcool, mais il devient trop dur de supporter la soirée. Il faut y assister pour comprendre. - Oh, oui, c'est vrai, c'est une soirée top secret ! - Je n’appellerais pas ça de secret, mais.... Comment dire... Nous devons le faire chaque année, ce n'est pas une célébration, mais un devoir. Convier un invité reviendrait à lui faire porter le fardeau.
- C'est un peu comme ne pas vouloir diluer le vin dans le verre d'eau, n'est-ce-pas ? - hmn, oui, quelque chose comme ça. Il frotta sa nuque de sa main dans un geste maladroit et pensif, belle métaphore de la part de sa patronne ! Il ne la croyait pas capable d'être aussi profonde, à vrai dire.
- Je ne suis pas doué pour les explications, mais si vous êtes intéressée, je peux vous conter mon histoire. - Je suis toute ouïe garçon. Et puis à cette heure, je ne vois pas ce qui serait gaspillé en terme de boulot.***
"Bon c'était en quoi... 1900 ? Vous étiez dans le monde des communs depuis déjà plusieurs siècles et Fabletown était déjà bien établie.
Les armées de Napoléon envahissaient les terres de l'Europe à l'époque. C'était une étrange coïncidence, comme une espèce de liaison magique puisque la situation reflétait bien celle des Royaumes...
L'adversaire avait tout conduis, aucun Royaume ne pouvait résister. Aucune armée n'était plus puissante que lui et tous les portails magiques vers le nouveau monde avaient été localisés, bloqués et détruits.
À l'exception d'un seul.
Dans un lointain donjon, aux confins des mondes connus, à l'est du soleil et à l'ouest de la lune existait encore un dernier passage vers la liberté. Il était encore protégé par les remparts délabrés de la forteresse et d'une poignée de défenseurs libres.
L'adversaire était arrivé jusqu'à nous, probablement parce que nous étions les seuls à ne pas déjà être détruits. Bien sûr, ils avaient eut tôt fait de nous couper nos ravitaillements et d'éventuelles possibilités de renforts.
La semaine précédente, le nombre de survivants s'était considérablement tari. À peine un sur cinq survivants arrivait vivant jusqu'à nous... Et aucun les deux derniers jours.
Jusqu'à son arrivée.
Seule, elle était comme tombée du ciel. Elle est la dernière à être parvenue jusqu'à nous, vivante, du moins.
À ce moment, ça faisait alors quinze ans que je combattais l'adversaire. Je servais dans les rangs du colonel Peau d'Ours, j'ai assisté et participé à toutes les célèbres batailles qu'il a livrées.
Boxen, Ruby Lake, Oakcourt et l'effroyable débâcle à Hollyfield où ils ont massacrés plus d'un millier des nôtres, au point où nous sommes repartis avec moins d'un tiers de nos effectifs arrivés le matin même. Cette déroute a marqué le début d'une année ou presque de retraite. une manœuvre habile du colonel pour sauver ce qui restait de ses troupes. Nous nous sommes repliés au-delà des maisons des quatre-vents, sans plus d'espoir de pouvoir vaincre l'envahisseur.
Puis nous finassâmes par trouver le fameux donjon où nous nous réfugiâmes le temps de livrer notre dernier combat dans les Royaumes et ainsi permettre à le plus de Fables possible le voyage vers le Nouveau-Monde... Celui des communs.
Beaucoup se sont ralliés à notre cause, des personnages que je n'avais connu que par les légendes. Beaucoup d'entre eux ne souhaitaient que s'enfuir, mais certains braves étaient aussi résolus que nous concernant la protection de ce donjon. Nous attendions à ce moment là le bateau qui nous conduirais au passage.
Cette soirée là, l'on me confia à la surveillance du cavalier. Ou de la cavalière plutôt. Celle qui était tombée à notre porte plus tôt dans la journée. C'est Swineheart qui s'occupa d'elle. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle avait l'air d'un ange. Je vous assure, elle était éblouissante !
Je crois avoir passé la soirée à la regarder dormir, j'ignore même ce qui s'est passé ailleurs, dans le Donjon.
Mais le lendemain fut moins agréable.
Ce matin là, les troupes de l'adversaire grouillaient de partout, couvrant à des kilomètres le désert qui nous entourait. Ils ont commencés à nous encercler pendant toute la journée. Dans la soirée, elles occupaient de long en large notre coin du monde. Nous ne pouvions rien faire si ce n'était que d'observer. J'ai sonné l'alarme, même si à mon avis ce fut inutile, puisque tout le monde était déjà au courant.
Ils n'ont pas perdit de temps à nous bombarder d'attaques, ils ont agit imprudemment, à vrai dire, ils ont gaspillés des vies pour gagner quelques centimètres de périmètre...
Pour chaque gobelins qui réussissait à rejoindre le rempart, nous en avions déjà tué une dizaine. J'ignore combien de temps ça a duré, probablement une dizaine de minutes, tout au plus. Lorsqu'ils ont décidés de fuir, nous n'avions que quelques blessés et un mort. Vous n'imaginez même à quel point cette victoire comptait pour nous. Pour eux, c'était probablement rien, une toute petite perte pour le grand max.
Toutefois, lorsque j'ai vu le drapeau blanc et le chef des troupes, j'avoue avoir été décontenancé, tout comme mon colonel. Nous ne savions pas si le fait de les rejoindre avait été un piège, mais lorsque j'ai quitté la douce sécurité des barrières et des murs de briques, j'avoue l'avoir un brin regretté. Néanmoins, je ne sentais pas mes jambes flancher, je ne tremblais pas et mon pas était assuré. Bien qu'au fond, je n'étais pas rassuré du tout, j'ai même cru que nous allions mourir...
Un bref échange entre le chef de troupes et notre colonel nous suffit pour savoir que le temps jouait sur notre survie.
L'adversaire nous ne donnait que quelques heures, tout au plus. Le bateau qui était arrivé plus tôt ne pouvait nous contenir tous... Il s'avérait d'ailleurs à être le dernier. De plus, il fallait que quelqu'un soit là pour contenir l'adversaire, le temps que le bateau se soit éloigné. La priorité était les femmes et les enfants, puis les fables non-humains tel que les brebis, moutons, cochons... Seuls quelques valeureux guerriers levèrent la main pour crier qu'ils restaient pour combattre l'ennemi.
Lorsque le colonel eut finit, je suis monté avec le Chaperon Rouge dans la haute tour du Donjon. Je m'étais déjà très attaché à elle et... Oui, je me donnais des prétextes pour lui tenir la main, bien que je n'ai jamais osé lui avouer. Nous avons discutés pendant un temps, jusqu'à ce qu'un frère corbeau ne nous interrompt. Lorsqu'il fut parti, nous nous installèrent sur un banc d'une enceinte sur-élevée et elle m'a raconté son histoire. Elle m'a parlé du grand méchant loup et des pierres dans le ventre, puis elle m'a demandé si je venais avec elle, sur le bateau. Bien sûr, je ne pouvais accepter sa requête, bien qu'en mon fort intérieur, je le désirais ardemment. C'était tout bonnement impossible et, j'avais une vie à sacrifier, pour les Fables...
Pour elle.
Suite à cela. Nous nous sommes embrassés et elle m'a conduit à sa chambre, je ne vais pas détailler ce qui s'est ensuite passé, une agréable, très agréable nuit, ceci-dit.
Mais je n'avais pas prévu dormir autant, je n'avais pas prévu dormir, en faite.
Nous nous sommes dépêchés de descendre jusqu'aux quais où ils grimpaient et embarquaient leur valises. J'y ai laissé Red, elle m'a supplié de venir avec elle et a même menacé de rester si je n'y allais pas. Je lui ai demandé de partir, pour qu'à mon dernier souffle je sache que je ne suis pas mort en vain, que je l'aurai fait pour elle pour qu'à son tour, elle vive pour nous. Ensuite...
Nous nous sommes embrassés pour la dernière fois.
J'ai tourné les talons et je suis parti sans me retourner.
Sur les remparts, j'ai rejoint nos troupes et bien sûr, j'avais été en retard. J'ai d'ailleurs compris à ce moment qu'on m'avait choisi pour porter la cape et prévenir le navire lorsque nos forces seront tombés.
Voilà ce qui s'est passé. Alors que les autres tombaient au combat, j'étais en sécurité...
Et j'observais.
Je me souviens, ils ont d'abord tués le Roi Pellimore. Puis Tam Lin a été le prochain, il était considéré comme une crapule, mais lorsqu'il fut choisi pour grimper dans le bateau, il lui donna sa place à son page, au lieu de quoi au fond, il n'était pas aussi barbare que ce que l'on disait de lui.
En fait, je n'ai pas vu le bateau lever l'ancre, j'étais décidément trop occupé à regarder
mes amis mourir. La moitié de nos hommes sont tombés en défendant l'enceinte extérieure, le reste sont morts lorsque l'adversaire traversa les remparts et franchi l'enceinte intérieure. À ce moment là l'adversaire avait nettement prit le dessus, nous tombions comme des mouches, mais ils sont tombés en héros. Ce qui s'est passé ensuite relève presque du miracle, Le chevalier de la croix rouge s'est vaillamment battu contre l'adversaire, gobelins, trolls, pas même les géants aussi nombreux étaient-ils n'arrivaient à le tuer. Il résista plus d'une heure contre les armées de l'adversaire.
Jusqu'à ce qu'ils relâchent le dragon. La croix rouge avait déjà vaincu un dragon.
Mais pas cette fois.
Quant au Colonel, il s'est battu pendant un temps. J'aimerais aussi pouvoir dire qu'il l'a fait jusqu'à son dernier souffle, mais les gobelins l'ont éventrés et l'ont laissé pourrir et agoniser au sol, quand bien même il leur suppliaient de lui venir en aide...Ou du moins d'abréger ses souffrances. Ils se moquaient de lui et il mourut au bout de quelques minutes, qui parurent une éternité.
Puis les soldats se souvenus qu'ils leur restait le donjon à prendre. Il était fin temps que je parte. J'ai donc fait vœu de rejoindre le navire. Je me suis retrouvé sur l'épave, je suis d'abord resté sonné pendant un moment, puis je me suis mis à chercher Red, mais je ne l'ai pas trouvée.
Puis deux autres dragons, juste lorsque je me suis permis d'espérer que nous allions survivent, nous poursuivaient. J'ai d'abord cru que c'était la fin pour nous, que ce serait notre tour de périr, mais les frères corbeaux sont arrivés par derrière et ont courageusement vaincu les dragons et... Tomber à leur tour. Je me suis donc contenter de les regarder donner leur vie pour nous. Au final, seulement trois des frères corbeaux ont survécus. Le reste du chemin s'est fait sans mal.
Nous avons débarqués à Fabletown et vous connaissez la suite.
Fin de l'histoire."
***
- Attend Boy Blue, tu n'as pas fini, qu'est-il advenu du petit chaperon rouge ?Le jeune homme s'était passé une main sur le visage, suffisamment meurtri pour quelques semaines avec ce qu'il venait de raconter. Dans un soupire, il étira un triste sourire, comme s'il s'agissait d'une mauvaise, très mauvaise blague.
- C'est ça, le ridicule de l'histoire. Une parodie grotesque d'un conte insipide d'O Henry. "Elle n'a jamais rejoint le Bateau, je l'ai appris de l'homme à qui elle a légué sa place pour rester avec moi. Ignorant que le colonel avait prit des dispositions pour me sauver. Elle est donc restée et... Elle est morte."
- Quelle ironie, n'est-ce-pas ? Snow White prit un petit air triste, elle avait posé sa main sur sa bouche comme si elle avait été choquée. Boy Blue fronça tristement les sourcils en battant l'air de la main, l'air dévasté, au fond.
- Je suis désolée de te rappeler ces horribles choses.- Ce n'est pas grave madame White. J'avais à me remémorer de ces souvenirs, à les regarder en face, d'ailleurs... Il s'était levé, ramassant quelques papiers au passage et sa trompette, un maigre et pourtant présent sourire aux lèvres, même après lui avoir raconté une sainte horreur d'histoire.
- C'est la tradition. À ce propos, il faut que j'y aille. Sur ces dires, Boy Blue fit demi-tour et quitta le business office pour rejoindre une petite salle restreinte où quelques citoyens l'attendaient déjà. Levant le verre pour tous ses camarades tombés dans le champ de bataille.
Fin
Basé sur le tome 4 de Fables, le dernier Bastion.