" Mets de la poudre blanche pour cacher tes larmes.
Et sourit. Rappelles-toi, tu es une illusion "

En jetant un coup d'œil dans le miroir, la bouche de Kumiho forma un rictus presque amer.
Combien de fois avait-elle entendu ces phrases, devenues un véritable dogme pour elle, au fil des siècles.
Cette nuit serait épuisante pour elle, la maquerelle le savait d'avance. Plusieurs rendez-vous "particuliers" s'enchaînaient et elle n'avait pas pu dire non à certains, ne pouvant repousser l'heure fatidique à chaque fois.
Une fois de trop et sa réputation tout comme sa Maison serait de nouveau en danger.
Et  plus que quiconque, elle savait que c'était aussi la réalité du métier et ne se plaindrait pas.

Le khôl soulignait son regard charbonneux aux éclats d'or avec la luminosité et les lèvres furent rehausser d'un rouge presque sanglant, touche finale à une allure envoutante, pleine de mystère. Mais la tenue et les derniers détails viendraient plus tard.
Pour l'instant, Kumiho voulait se détendre et descendit simplement vêtue d'une robe kimono blanche et pourpre, sans plus d'artifices.

Le bar n'était pas bondé mais l'affluence était plutôt bonne pour ce soir. La petite scène qu'elle avait fait installée servait parfois, mais la patronne doutait encore un peu de son rendement. Un coup d'œil circulaire et son odorat lui apprirent rapidement qui des Fables ou des mundanes étaient là ce soir, même si certains était plus difficiles à percevoir que d'autres.
Naturellement, la renarde s'accouda au bar et souriante, échangea avec la barmaid sur la soirée et les prochaines à venir. Sur ce petit bout de chou qui viendrait tard dans l'année, inquiétude et excitation mêlée de l'employée.
De loin, elle apercevait la silhouette de Crock, affairé à surveiller drastiquement les allées et venues des clients, quand une odeur particulièrement connue lui fit retrousser le nez.

Goût métal.
Amer et violent.

Suspicieuse malgré son habitude à côtoyer les gens puant le sang, la kitsune balaya la pièce, s'avança légèrement, ondulant parmi les tables avant que ses prunelles se fixent sur une silhouette étrange. Sombre, à part cette chevelure d'argent. Reculé dans un coin de la pièce, comme attendant quelque chose... et cette aura. Prestance et danger mêlé.
L'expression de son visage lui semblait étrange.
Pourtant Kumiho ne perdit pas son sourire, et avança jusqu'à sa table, avisant son verre vide.

"- Bonsoir ! Tout se passe bien ? ... le service est-il à votre goût ? "
Il n'était pas rare que la renarde passe voir les clients de temps en temps, œillade discrète et toute sourire sur sa fréquentation. " - June ! la même chose, s'il te plait ! "

En apparence, il était un petit veinard. Rare était les verres offert aux inconnus. Mais la patronne était la loi ici... !

Le refus de l'homme en face de Kumiho ne la fit pas ciller, un sourire effronté collé aux lèvres.
Un léger rire filtra entre ses lèvres au "mademoiselle" . Il y avait bien longtemps que l'on ne l'avait pas appelée ainsi, et quelque part, cela faisait toujours plaisir...

En d'autres circonstances plus tendues, la renarde n'aurait pas attendu pour lui dire de déguerpir la queue entre les jambes, si Môsieur n'avait plus soif, mais faisant fi de la dénégation, elle s'installa en face de lui, lui tendant une main."

"- Tant pis, je boirais pour nous deux alors. Je suis Kumiho Fox, la patronne".

Autrement dit, tiens-toi à carreau, ne me dis pas que je te dérange, et sois aimable, bien qu'il n'y ait encore aucune menace cachée au ton de sa voix.
Econome et détestant le gaspillage, la renarde garda les deux verres en face et commença à siroter le premier. Les yeux aux reflets dorés de son vis à vis l'intriguait mais elle ne pouvait se risquer de dévoiler sa nature de Fable.

"- Je vais être honnête, Monsieur... ? Vos habitudes m'intriguent. Vous venez souvent, très souvent et pourtant vous ne vous vous mêlez jamais à la foule. Les gens ici sont-ils si passionnants ?" ]Elle ponctua sa question d'un sourire, espérant qu'il se présente, avant de planter de nouveau ses prunelles dans celle de l'homme.
Plus que cela, elle en était certaine.
Une fraction de seconde, Kumiho jeta la prudence aux orties et ses prunelles se fendirent d'or avant de retrouver leur carnation sombre.
" - Vous ne ressemblez pas à la plupart de mes clients... Il émane de vous, une odeur particulière."

Les mots sibyllins de la kitsune tentaient de percer la façade de glace de ce client si étrange. Reflet d'une véritable curiosité mêlée de méfiance. Elle ne faisait que commencer... Kumiho aimait le jeu, beaucoup trop pour sa propre santé d'ailleurs. Mais s'il refusait de répondre à ses questions, il était certain qu'elle serait plus franche et soucieuse.
Il y avait assez de sang et de merde dans les ruelles de New-York pour que l'on vienne en mettre chez elle.

La renarde lui prêtait peut-être des mauvaises intentions, mais les siècles lui avaient appris que la prudence était un gage de survie.

La lueur carmine, fugace dans les yeux de l'homme confirma à Kumiho ce qu'elle pressentait déjà. Ce n'était pas un animal, du moins pas comme on pouvait en croiser.

Elle ne put réprimer une sourire d'audace à le voir se saisir finalement du verre. Pas si têtu que cela ! Ou peut-être que si, et la tension monta d'un cran dans le petit recoin de la salle du bar où il s'était réfugié.
Finissant son verre, la renarde le claqua contre la table, regrettant de ne pas avoir pris carrément la bouteille avec elle. Si elle voulait lui tirer les verres du nez, il allait falloir qu'elle s'arme de patience.
Et quand l'objet de sa curiosité s'avérait être une huitre pâle empestant le sang... dur de ne pas le brusquer.
Pour l'instant, elle riait presque tout haut des réponses, même si une once d'ironie et d'acidité trainait sur le bout de sa langue.

" Et bien Monsieur je n'aime personne, pourquoi venez-vous dans un lieu aussi peuplé alors ? "

Derrière le sarcasme se glissait quand même une certaine curiosité sincère. Mais la suite de la réponse avait nettement moins plu à la kitsune qui garda le silence, les sourcils légèrement froncés tout en décryptant ce qu'il avait noté sur le morceau de papier.
Tiens donc, un voisin ! ou presque... Elle n'était pas familière de l'histoire de tous les contes et légendes mais assez pour savoir qui était le comte.  A côté de lui, Kumiho faisait office de roturière, mais elle s'en fichait comme d'une guigne. Si la réputation de Vlad était retentissante, la kitsune ne s'en inquiéta que plus, pas par peur, mais plutôt par préoccupation.
Qu'est-ce qu'il venait pointer ses canines dans son bar ?

"- Ne me prenez pas pour une conne, Vlad. Vos produits chimiques ne peuvent pas masquer l'odeur du sang. Pas à moi. " Qu'il comprenne ou non la véritable nature de la jeune femme en face de lui importait peu à la patronne.
La voix, bien que calme était aussi tranchante que le regard méfiant qu'elle posa sur lui, sans se départir de son sourire.

"- Tous ici ne sont personne.... Mais voyez-vous, je sais en général ce que chacun est venu chercher... Tenez par exemple, Lens, l'homme au veston caramel là-bas. Il est ici dans l'attente d'un colis particulier. Rien de bien dangereux, si ce n'est pour son égo, mais je vous passerais les rumeurs qui courent sur lui. Ce qui n'est pas le cas de l'homme à chapeau assis au bar, qui ne passe pas simplement le temps.
Pas bien loin, nous avons Gaby, plus si jeune que ça malgré sa tenue... elle, vient pour se souler tous les soirs et oublier. Quoi ? je n'ai pas besoin de le savoir mais ça se sent.
Joe ou Joan', je ne sais plus exactement est ici pour faire chier sa femme. Il veut la pousser à bout... mais ils finissent toujours par se réconcilier.
J'ai besoin de continuer ? .... "
D'un geste de la main, elle chopa la bouteille que June était venue lui apporter, barmaid toujours et éternellement attentive.
" Tout cela pour dire que vous, en particulier ne pouvez pas être "personne". Je ne cherche pas à vous chasser. Simplement savoir si un homme comme vous est potentiellement dangereux pour mes clients. "

Tout cela ponctué par un sourire éclatant, comme s'il avait prononcé un compliment.
Tout Dracula qu'il était, il devait une réponse à la kitsune. Et de préférence une réponse honnête.